
"Le Hip-Hop c’est cool"
Et maintenant, sous vos yeux ébahis (ou un peu endormis), une tentative de mettre un peu au clair ce qui me trotte dans la tête depuis un certain temps : le rapport des classes moyennes anarchisantes évoluant dans le milieu DIY (« nous » ?) au mouvement hip hop. Tout ça est un peu compliqué, ce texte n’a pas la prétention d’arriver à une quelconque conclusion, je vais ici poser quelques questions et donner un semblant d’avis, déballer un sentiment et laisser apparaître quelques sous-vêtements théoriques. Il va de soi que je ne me place pas « au-dessus de la mêlée » et que je m’inclus dans ce « nous »…
On en est où ?
Tu reçois un mail. « Salut. On organise un concert et on voudrait un groupe de rap, donc on vous contacte. » Aucun mot sur tes textes, ta démarche, tes instrus. On veut un groupe de rap parce que c’est forcément bien, du moment que la forme correspond vaguement à l’idée qu’on s’en fait : un beat, deux ou trois gars derrière des micros, une attitude vaguement rebelle… argh.
Y’a pas si longtemps que les groupes de rap ont fait irruption dans la scène DIY. Quelques années seulement. Le temps probablement pour les nombreuses personnes qui ont grandi avec en fond sonore à la limite de la varièt’ de digèrer cette influence plus ou moins lointaine et se réapproprier le style.
En effet, à part quelques égaré.e.s (de tous horizons, dont pas mal de punx) qui affirment que la seule musique qu’elles n’aiment pas c’est le rap (ce qui, selon moi, est d’une connerie sans fond : comme s’il y avait un seul rap, comme si quand tu aimes le punk tu aimes indifféremment crass et blink 182, m’enfin passons), nombre de gen.te.s qui m’entourent disent qu’elles adorent le rap, voire qu’elles sont « à fond » dedans, alors que bien souvent, cet amour se limite à quelques réminiscences du lycée (iam, ntm, assassin) assorties de quelques trucs à la mode. Et moi aussi je dis que j’aime ça le rap. Et c’est clair que, moi aussi, mes références sont assez maigres. Mais bon sang, pourquoi on aime ces beats, de façon inconditionnelle ?
Combien de concerts horribles j’ai dû supporter, où une bande de gen.te.s bien emêché.e.s se dandinaient piteusement sur un beat quelconque au fond d’un squat ou dans un festival, singeant des poses de clips de MTV et adoptant ce qu’ils pensent être l’accent de la banlieue. On me parle souvent avec cet accent pour parler de l’oiseau mort, et moi aussi ça m’arrive, pour « rire », mais en nous regardant je ne sais plus où me mettre tellement c’est un comportement classiste et raciste.
Pas mal de monde semble se trouver des affinités avec un style, voire un milieu, alors qu’en étant un peu honnête, on constate qu’une majorité d’entre nous a grandi dans une tout autre culture que la culture hip hop et celle qu’on lui associe forcément, la fantasmagorique culture des banlieues.
Une question de génération ou de « cultures » ?
Quand j’entends le mot « culture », je… prends quelques secondes pour réfléchir. Pour ma part, je considère que ce terme fait partie des concepts, des idées abstraites qui nous servent à comprendre la réalité, sur laquelle on place un mot tout en sachant que ce qui se passe dans la vraie vie est bien plus complexe, pas vraiment homogène. Donc quand je dis « la culture hip hop », c’est un raccourci dégueulasse. Le tout c’est d’en avoir conscience. Par ailleurs je pense que les différentes cultures et classes sociales ne cohabitent pas gaiement les unes à côtés des autres. Elles génèrent et sont le fruit de rapports de force, de domination. Pas vraiment « peace, love and havin’ fun ». Tant mieux.
Bon, revenons à nos moutons, c’est le cas de le dire. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit (j’adore ce genre d’expression débile) : je ne dis pas qu’on ne peut pas tomber amoureux d’une culture bien éloignée de la notre jusqu’à l’adopter complètement (heureusement d’ailleurs que c’est souvent le contraire qui arrive, sinon bonjour la consanguinité), je dis juste que l’amour inconditionnel du milieu « alternatif » pour le rap me semble suspect. Pourquoi, par exemple, je me surprends à brailler dans ma chambre « je suis noire et née en France, et maintenue en position de faiblesse » en écoutant Casey, alors que je ne suis ni une meuf, ni noire, ni résidante de la banlieue nord de Paris ? Je me reconnais dans les le ton des textes, ok. Mais il n’y a pas que ça. Pourquoi je remue la tête sur des trucs de rap US (ou je n’entrave que la moitié des paroles) ou sur Mafia K1 Fry (qui racontent la plupart du temps de la merde) ?
Un début de réponse, une tentative (là je vais y aller à gros traits, ‘scuse moi d’avance, je mets les pieds dans le plat au risque de me gourer) : le hip hop c’est – forcément - cool. On a grandi avec ce mythe, parmi d’autres (le voyage par exemple, j’y reviendrai un de ces quatre). Une sorte de sentiment diffus, un lieu commun, entre idée reçue et vérité crue. Les punks sont sales et méchants. Les campagnards sont rustres et bourrus. Le hip hop c’est cool. Mais pas que. S’y ajoute (et participe au fait que ce soit cool) un côté dangereux, incontrôlable, hors-la-loi : les restes du piteux gangsta rap version Dimanche Martin. Alors on s’encanaille, on s’approprie une façon de parler, une gestuelle, des attitudes corporelles. Acheter son shit au quartier revient à « tisser des liens ». C’est le frisson. Ainsi, quelques groupes effectivement originaires des banlieues semblent les mieux vus dans la scène DIY, malgré de belles incompréhensions, ou des feintes d’ignorer ce qui, venant d’un groupe punk, équivaudrait illico à l’opprobre.
Oui il y a encore des classes et oui certaines sont encore considérées par l’Etat comme dangereuses. Dès lors, en bon.ne.s anarchistes, on est souvent fasciné.e.s et il n’y a bien que les organisations sclérosées (Fédération Anarchiste, Organisation Communiste Libertaire…) pour rejeter les liens possibles avec « le lumpen ». Les autonomes, eux, ont toujours bien fantasmé dessus (et je ne dis pas que des alliances ne peuvent pas porter leurs fruits…). Bref. En tous cas il y a ce machin, cette capacité, qu’on peut appeler le « capital culturel » (pour pierre bidule, sociologue, ta position dans la société dépend de différents « capitaux » : financier bien sûr, mais aussi social – ton réseau de connaissances – ou culturel – le fait que tu connais et maîtrises les codes de la culture dominante) qui nous permet de nous payer le luxe « d’aller voir ailleurs » sans trop de d’emmerdements.
La culture dominante qui digère la culture dominée, tire la chasse sur tout ce qui la dérange trop et se gargarise avec tout ce qui ne la remet pas en cause. C’est vraiment pas un phénomène extraordinaire. La journée de la femme ou le musée post-colonial du quai Branly (dont le slogan est d’ailleurs « là où dialoguent les cultures », no comment) sont d’autres bons exemples d’hypocrisie à grande échelle.
Parce que le plus rassurant, c’est encore quand des blancs classe moyenne font du rap. Alors là on est tranquilles, on sait qu’ils vont nous servir exactement ce qu’on attend. Je me demande souvent comment ne pas tomber là-dedans quand j’écris un texte, et je suis encore bien loin d’y être parvenu. Disons qu’éviter les slogans me semble déjà pas mal…
Conformisme vs Sincérité ?
Je sais que le conformisme n’est pas soluble dans la scène DIY, bien au contraire. Ainsi, bien souvent, quel que soit le style, il suffit de mettre des A cerclés et de répéter inlassablement les mêmes phrases en blanc sur noir pour être considéré comme un groupe révolutionnaire, même si à côté de ça on en branle pas une, on s’engage dans rien de collectif, voire on dénigre le fait de chercher à s’organiser, dans une posture de nihiliste de comptoir. Le rap n’est bien évidemment pas épargné par ce manque de recherche et sincérité. De façon plus large, le hip hop, comme tout mouvement/culture/style musical n’est pas « revendicatif » en soi, par essence, il est ce que les individu.e.s en font, avec un panel de démarches et de sincérités bien large.
Alors quoi ?
On appartient à plusieurs groupes sociaux, et ces différents groupes sociaux ne sont pas magiquement égaux entre eux. Donc des fois je suis dominant (un blanc dans une société où les non-blanc.he.s sont considéré.e.s comme inférieur.e.s), et des fois dominé (un RSAste qui cherche à… se loger). Et quelques fois, on trippe bien sur une culture dominée. Le tout est peut-être de le reconnaître, d’être un minimum honnête et sincère dans la manière dont on aborde cette attirance. Non pas s’approprier les choses de façon – faussement – inconditionnelle, ni se comporter en touriste expropriateur, mais proposer sa vision, avec le recul nécessaire. Assumer d’être un peu exigeant.e et chercher la cohérence en dehors des étiquettes. Et bien-sûr, garder toujours en tête que nos vies, dans ce monde de merde, sont faîtes de sales contradictions.
Ecrit par Chivain, tiré du fanzine "Impressions N°2".