
Brochure proposée par les éditions Senonevero.
Nous ne revendiquons rien (Johann Kaspar)
« Je ne revendique aucun droit, par conséquent je n’ai pas non plus besoin d’en reconnaître aucun »
Stirner [Johann Caspar Schmidt]
La nuit du 8 août 2009, des centaines de détenus de la California Institution for Men à Chino déclenchèrent une émeute de 11 heures, causant des dommages « significatifs et étendus » à la prison de moyenne sécurité. 250 prisonniers furent blessés, dont 55 admis à l’hôpital. Le 1er mai 2009, trois pâtés de maisons du quartier de luxe furent démolis par une foule mouvante, laissant une trainée de verre brisé tout le long du trottoir, de sorte que les boutiquiers, la police et les journalistes en restèrent bouche bée le lendemain matin. À l’aube du 10 avril 2009, 19 personnes s’emparèrent d’un bâtiment vide de l’université, de la taille d’un pâté de maisons, sur la cinquième avenue à Manhattan, et le cadenassèrent, déployant des banderoles et lisant des communiqués depuis le toit. La police et les responsables universitaires répliquèrent en envoyant des hélicoptères, des groupes d’intervention et des centaines de policiers pour y pénétrer et tous les arrêter. Après qu’Oscar Grant, un noir désarmé, eut été assassiné par des policiers de la route à Oakland, en Californie, le 1er janvier 2009, une marche de 250 personnes prit une tournure sauvage quand un groupe de discussion, digne des rêves de multiculturalisme, saccagea le centre-ville, causant plus de 200 000 $ de dommages en brisant des vitrines, brûlant des voitures, enflammant des poubelles et en jetant des bouteilles sur des officiers de police. La police en arrêta plus de 100. Du 6 décembre 2008 au jour de Noël, une rébellion balaya la Grèce après que la police ait abattu un garçon de 16 ans à Athènes. Des centaines de milliers de gens y prirent part, dévastant les rues, attaquant les commissariats avec des bombes incendiaires, pillant les magasins, occupant les universités et les bâtiments syndicaux, affrontant pendant tout ce temps les flics quotidiennement avec une intensité et une coordination digne d’une armée. Après les morts « accidentelles » de deux jeunes qui étaient poursuivis par la police dans la banlieue parisienne, à Clichy-sous-Bois, le 27 octobre 2005, les jeunes des banlieues françaises brûlèrent des milliers de voitures, fracassèrent des centaines de bâtiments et détruisirent petits et grands magasins chaque jour pendant trois semaines, en réaction. 8 973 voitures brûlèrent dans toute la France ces nuits-là et 2 888 personnes furent arrêtées.
Qu’est-ce qui unit ces événements épars des dernières années ? Ni la race, ni l’origine de classe des participants, ni leurs contextes politiques ou leur condition sociale, ni leur situation géographique, ni leurs cibles. C’est plutôt une certaine absence qui les unit, une brèche au centre de tous ces conflits : l’absence de revendications. Cherchant à comprendre, gérer ou expliquer les événements précédemment cités à un public aliéné, les responsables carcéraux feignent l’ignorance, les journalistes font les poubelles à la recherche d’une « cause », les politiciens cherchent quelque chose à négocier, alors que les progressistes imposent leur propre idéologie. La peur qu’il n’y ait vraiment rien sous ces actions, pas de plainte, pas de raison, pas de cause, juste une libération sauvage d’énergie primale, aussi inexplicable et irrationnelle qu’un sacrifice aux dieux eux-mêmes. À tout prix, il doit y avoir une signification, gémissent-ils, une sorte de poignée à laquelle se raccrocher, quelque chose, n’importe quoi.
Qu’est-ce qu’ils veulent ? demande tout un chacun, et la réponse est partout la même : Rien.
De Chino à Paris, d’Australie à Athènes, de New York à San Francisco, c’est seulement un échantillon mondial de révoltes qui ont progressivement abandonné le désir de « revendiquer quelque chose ». Pour la presse bourgeoise, l’absence de revendications est considérée comme un symptôme d’irrationalité, une certaine folie ou une pathologie qui frappe les déchus du droit de vote.
Pour la gauche radicale, l’absence de revendications est perçue comme une immaturité politique, une rage naïve qui ne peut s’épuiser qu’en de brefs éclats. Mais à ceux qui ont pris part ensemble à de tels actes, à ceux qui ont vu leurs revendications devenir le moyen de leur propre étouffement, une telle tendance est un bon auspice des choses à venir.
Peut-être est-il temps d’arrêter de voir ces luttes comme « manquant de » quelque chose, mais plutôt comme des actes déterminés de négation, avec leur force, leur sens et leur histoire propres. Pour prendre au sérieux le contenu des luttes sans revendications, on doit les prendre non comme des événements isolés, mais comme des moments dans une histoire des rapports antagonistes qui se développent entre le capital et la vie qu’il subsume. Quelles sont les formes sous lesquelles les luttes sans revendications nous apparaissent ? Comme émeutes principalement, mais aussi comme grèves sauvages, occupations indéfinies, rébellions violentes, soulèvements populaires et insurrections généralisées.
Au lieu de voir une émeute à la façon des sociologues, c’est-à-dire n’importe quel acte de violence collective qui cherche à propager directement son message sans respecter les normes légales, nous pouvons les voir telles qu’elles nous apparaissent : comme des formes de lutte se développant, adéquates aux conditions de l’exploitation à une moment donné. Les émeutes commencent généralement accompagnées de quelques griefs, parfois en vue d’une revendication. Une émeute peut aussi démarrer sans revendication, mais finir avec une. À d’autres moments, les émeutes démarrent sur une revendication particulière, mais prennent fin sans se soucier nullement de sa satisfaction. Parfois les revendications sont plaquées sur une collectivité émeutière par un « représentant » autoproclamé et à d’autres occasions les revendications sont élaborées par la collectivité elle-même. Chacun des cas ici mentionnés est survenu dans l’histoire américaine, et ce serait la tâche d’un scientifique de l’insurrection de mettre à jour toutes les logiques possibles du développement historique de tels rapports, dans la dialectique entre revendication et destruction. Comme les conditions de l’exploitation se développent, les luttes contre elles font de même, et par là le sens des luttes elles-mêmes change, exprimé non par les revendications mais par le contenu de l’activité elle-même. C’est cette activité sur laquelle nous nous penchons ci-après.
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