Le commerce des « antiquités militaires » se porte bien à Toulon. Les nostalgiques de la France pétainiste, de la guerre d’Algérie mais aussi du 3ème Reich, y trouvent matière à assouvir leur curieuse passion. En toute illégalité.
Un Reich, une ville, quatre boutiques
À Toulon, un commerce particulier est florissant : les boutiques dites «Militaria». Ce mot latin désigne tous les artefacts témoignant du passage ou de l'activité des armées, de tout pays et de toutes les époques. Les « antiquités militaires » sont ainsi collectionnées par des passionnés, souvent appelés « fanas-mili ». La France réglemente théoriquement cette activité avec sa législation sur les armes, l’application du jugement du tribunal de Nuremberg, ainsi que par la loi Gayssot du 13 juillet 1990. Mais une petite revue toulonnaise confirme qu’entre la théorie et la pratique, il y a toujours un certain écart…
L’inspection débute au « Béret vert », 217 avenue de la République, à 100 mètres de la mairie. Un commerce ouvert durant la glorieuse année 1995... Le vendeur y bûche un catalogue d’accessoires « spécial Guerre d’Algérie » pour nostalgiques des corvées de bois. Des casques de la Wehrmacht, des décorations nazies prohibées, ainsi que des Mein Kampf en allemand trônent bien en vue parmi des armes blanches et de vieux revolvers (armes de 8ème catégorie). Article « collector », une assiette commémorative du Maréchal Pétain est également exposée en bonne place au côté d’une autre estampillée de francisques et de la devise « travail, famille, patrie ». De belles antiquités militaires ! On comprend le silence de l’ancienne kommandantur voisine sur ce genre d’activités mais un peu moins celui du maire, Hubert Falco… « Toulon bouge, Toulon avance », affirme la propagande municipale. Au pas ?
Liquidation totale
Toujours sur l’avenue de la République, le shopping continue au « stock américain ». On y trouve drapeaux sudistes, textiles militaires, dont des cagoules 3 trous, toujours utile quand l’hiver est rude à Toulon. Des médailles nazies se trouvent au fond du dépôt, parmi d’autres décorations. Le propriétaire de la boutique, se présentant comme un ancien légionnaire, assène : « On vend tout ici. » Son boulot est le même depuis des années : la liquidation totale.
« L’uniformologie » se veut être l'étude des uniformes qui sont (ou ont été) utilisés pas les différentes armées. Elle consiste pour les amateurs d’uniformes « militaria » à revêtir des mannequins de toute la panoplie d’un soldat et de le mettre en situation. Sur internet, les photos les plus récurrentes sont celles d’officiers SS ou de soldats de la guerre d’Algérie (1). Pour multiplier leur chiffre d’affaire, les boutiques toulonnaises sont également présentes via le site Ebay. C’est le cas du « Béret Vert » qui y est référencé et dispose en plus d’un site internet (2). Curieusement, aucun contenu illicite émanant du régime Hitlérien ne se trouve sur ces pages, si ce n’est un casque allemand dilué entre d’autres modèles…
Un site français d’achat en ligne extrêmement riche, www.militaria.fr, est l’archétype de l’hypocrisie ambiante. À la rubrique « conditions », il rassure : « tous les articles présents et notamment ceux relatifs à la seconde guerre mondiale n'ont aucun caractère idéologique ou politique et ne constituent en aucun cas une quelconque apologie (sic), ou incitation a la haine raciale. Pour ne pas enfreindre la législation en vigueur en France, notamment en ce qui concerne l'armement et les objets liés à des organisations fascistes et plus particulièrement nazis : les objets ayant appartenu aux organisations politiques nazies condamnées au Procès de Nuremberg, sont interdits. » À la rubrique coiffure, se vendent pourtant 23 casquettes différentes, avec sur toutes des coutures d'aigles hitlériens ou de têtes de mort SS. La liste est longue : 18 médailles purement nazies, dont celle des « mères allemandes » ayant enfantées activement, 5 baïonnettes, 6 dagues, des grenades à manches, lance-fusées, masques à gaz, boites de pansements, jumelles, gants, lanternes... Tout est prêt pour aller envahir la Pologne. Se trouve même le caleçon modèle « Unterkleidund » de l’Afrikakorps : « Lacet de serrage au dos, 3 boutons entoilés de boutonnage, braguette ouverte. Très bon état. Indispensable pour compléter un paquetage. » Formidable également la présence du « Lampion NSDAP », pour faire führer à la fête du village, la saucière Luftwaffe pour accompagner vos bratwursts, et la petite cloche en porcelaine « souvenir des jeux olympiques de Berlin 1936 » afin de se remémorer le bon vieux temps…
Que fait la police ?
Pour ceux qui n’aiment pas internet et préfèrent passer leur « quartier-libre » sur le bord de la plage au frais dans un blocos, « Ma boutique », 72 avenue Maréchal Foch, reste l’endroit idéal. À deux pas du palais de Justice, elle est ouverte depuis 1986. La plus vieille échoppe « militaria » de Toulon aime la Wehrmacht, et elle ne s’en cache pas. Des pistolets aux grenades, des casques aux bottes, on y équiperait une division de volksgrenadier. La littérature n’y est pas consignée : entre les purges des dignitaires nazis à la retraite et le livre « Napoléon expliqué aux enfants », vous y trouverez certainement quelques récits de « ce qui s’est véritablement passé en Algérie ». Le tout bordé de messages « à tous les français » du Maréchal moustachu placé sous-verre.
Le pantzer garé au parking Liberté, les emplettes se poursuivent chez « Histoire d’Antan » (sic), ouvert en janvier 2006, au croisement de la rue Saunier et de l’avenue Vauban. Le fourrier garantit : « tout est en vente libre ici. C’est vrai que souvent on monte la tête aux gens avec des “ faut rien faire, faut rien dire ” mais il n’y a que la croix gammée d’interdite. » Pour conjurer le sort (ndlr: ce commerce est en réalité illégal), de pudiques gommettes jaunes d’un centimètre se trouvent sur l’écusson d’une veste SS même pas soldée. Mais comment ne pas croire un commerçant qui travaille en face de la police nationale ! Il suffit en effet de faire 20 mètres (en traversant sur le passage protégé) pour se rendre du commissariat central au magasin le plus équipé de Toulon en articles « militaria » nazis. Sur le site internet www.toulon.com, les missions de la poulague sont clairement énoncées : « La police judiciaire a pour objet (…) de rechercher et de constater les infractions pénales, d'en rassembler les preuves, d'en rechercher les auteurs et leurs complices, de les arrêter et de les déférer aux autorités judiciaires compétentes. » C’est donc probablement pour faciliter ce travail que la toute récente boutique s’est ouverte en un tel lieu.
Au sujet de la revue Signal en vente dans sa boutique - fausse antiquité militaire mais réelle propagande de Goebbels (voir encadré) - l’imposant vendeur bombe le torse : « C’est soumis à aucune restriction. C’est de la publication, c'était le “Paris-Match” de l’occupation, je peux même le mettre à la vente en vitrine si je veux. » Reste une question. Nous n’avons pas osé demander aux nombreux clients réguliers sortant du magasin et portant l’uniforme de la police nationale s’il était bien de véritables fonctionnaires ou de simples collectionneurs…
Jean-Baptiste Malet (Toulon)
(1) Le forum http://deutsch.militaria.xooit.fr/index.php en présente des exemples.
(2) www.leberetvert.com
Le groupe Hachette et Goebbels
Signal est le principal journal de propagande publié par les nazis durant la Seconde Guerre Mondiale, célèbre pour ses photos couleur de qualité, chose exceptionnelle à l'époque. Créé en 1940 à l'initiative de Joseph Goebbels, ministre de la propagande, Signal est diffusé dans une vingtaine de pays, d'abord ceux occupés par l'Allemagne nazie mais aussi au Moyen-Orient et même aux États-Unis. Il vante bien entendu les « mérites » de la Wehrmacht et sert de vecteur de diffusion de l'idéologie nazie. Hachette le distribue dès 1940 en demandant aux kiosques « de les exposer aux endroits les plus favorables », entretenant une polémique célèbre après guerre. Depuis, tout va mieux : les « endroits les plus favorables » réservés à la publicité dans les Relais H y sont désormais payants.