Quand le militantisme fait le choix des armes: Les femmes d'Action Directe et les médias

30/10/2009

Quand le militantisme fait le choix des armes: Les femmes d'Action Directe et les médias

Brochure sur les femmes d'Action Directe et les médias, à télécharger en bas de page.


Texte publié en mai 2009 sur le site de la revue internationale Sens public: www.sens-public.org/spip.php?article683
Ce texte a été rédigé dans un cadre universitaire et, à ce titre, répond à un certain nombre de contraintes, notamment à la limitation du nombre de caractères. Certains aspects n'ont donc pas pu être abordés ou approfondis. Peut-être plus tard.


Quand le militantisme fait le choix des armes : les femmes d’Action directe et les médias
par Fanny Bugnon



Au tournant des années 1960, les pays industrialisés ont été confrontés à une dynamique contestataire renouant avec l'action politique organisée violente. Ainsi, en France comme dans plusieurs pays occidentaux, la radicalisation des pratiques militantes a pu déboucher sur ce que Gérard Chaliand nomme le « terrorisme à vocation révolutionnaire ». Le terme « terrorisme » est employé de manière générique par les médias pour qualifier l'ensemble des activités de ces mouvements, mais n'est pas opératoire en termes d'analyse, contrairement à « violence politique ». Nieburg la définit par l'ensemble « des actes de désorganisation, destruction, blessures dont l'objet, le choix des cibles ou des victimes, les circonstances, l'exécution et/ou les effets acquièrent une signification politique, c'est-à-dire tendent à modifier le comportement d'autrui dans une situation de marchandage qui a des conséquences sur le système social ». Acteurs de ce phénomène, les membres d'Action directe (AD), « communistes révolutionnaires » comme ils se définissent, issus de la nébuleuse d'extrême gauche, font irruption dans le paysage français avec le mitraillage, le 1er mai 1979, du siège parisien du Conseil national du patronat français (CNPF). Par la suite, de nombreux attentats matériels sont perpétrés contre des symboles de l'État et du capitalisme. A compter de 1985 et du rapprochement avec la Fraction armée rouge (RAF) allemande, un changement de nature des actions s'opère avec le passage à l'assassinat politique. Après plusieurs vagues d'arrestations, le groupe sera finalement démantelé en 1987, et ses membres condamnés à des peines allant jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité.
Selon les enquêteurs, environ 150 personnes auraient été impliquées, à divers degrés, dans la mouvance Action directe, dont plusieurs dizaines de femmes. Action directe partage, avec d'autres, tels les Groupes révolutionnaires armés du 1er octobre (GRAPO) espagnols ou les Brigades rouges (BR) italiennes, cette caractéristique : celle de compter en son sein une part importante de femmes.
L'objet consiste à interroger ici les représentations des femmes mises en cause pour leur participation, à des degrés divers, à cette organisation et d'analyser l'articulation entre les parcours de militantes, réels et supposés, et les représentations qu'en proposent les discours médiatiques. Pour cela, le genre peut s'avérer moteur dans la différenciation des perceptions et intervenir dans l'élaboration des identités discursives, quitte à s'inscrire, parfois, à rebours de la dimension factuelle. C'est à partir d'un corpus d'articles tirés de quotidiens français depuis 1979 et d'un dépouillement systématique que se construit cette analyse de discours. Il s'agit, en somme, de rendre compte de l'intégration progressive de la violence politique des femmes d'Action directe, et peut-être plus encore
des résistances, à travers les discours médiatiques en démontrant, dans un premier temps, le processus de relativisation de l'engagement à l'oeuvre avant de pointer la stigmatisation sexuée de ce militantisme violent.

Relativiser l'engagement

Le processus médiatique le plus fréquemment à l'oeuvre consiste en un exercice de décrédibilisation de ces militantes. En effet, on relève une tendance à évacuer la dimension politique des faits qui leur sont reprochés et qu'elles peuvent revendiquer. La relativisation du processus d'engagement, des motivations politiques, et plus largement des circonstances qui ont conduit un certain nombre de femmes à être mêlées aux activités d'Action directe est un phénomène récurrent.

Excuser par les sentiments

La démarche la plus fréquente consiste à émettre des doutes quant à la sincérité et aux motivations réelles qui ont guidé l'engagement de ces femmes : aveuglées par l'amour, elles auraient suivi un homme. Cette figure de l'amoureuse - toujours pensée comme hétérosexuelle - qui, par naïveté ou par faiblesse, se retrouve fréquemment, quels que soient leur degré d'engagement dans l'organisation et les faits qui leur sont reprochés, quelles que soient les déclarations des intéressées.
Ce sont les femmes qui deviennent les compagnes des hommes, et non l'inverse, et ce, dans tous les titres de notre corpus.
Ainsi, Nathalie Ménigon, condamnée à deux reprises à la réclusion criminelle à perpétuité (1988 et 1989) pour, entre autres, les assassinats de René Audran (janvier 1985) et de Georges Besse (novembre 1986), est systématiquement présentée, par tous les titres, comme « la compagne » de Jean-Marc Rouillan, l'un des fondateurs d'Action directe, gratifié, lui, de la qualité de « cerveau5 ». C'est à partir de leur première arrestation commune, en 1980, que leur relation intime est évoquée. Au cours des audiences, Nathalie Ménigon refuse pourtant d'évoquer sa vie sentimentale. Bien qu'elle affiche ses convictions politiques, sa relation avec Rouillan est présentée comme le facteur déterminant de son engagement au sein d'Action directe :

« Nathalie Ménigon y croit. Elle a vingt ans en 1977. Fille d'une famille d'ouvriers de la région parisienne, elle travaille dans une grande banque, où elle est très proche de la CFDT, qui finira par exclure avec fracas "ses" autonomes. Elle milite à la revue Camarades, laquelle puise abondamment
son inspiration à Rome, Milan et Padoue. Cela n'est pas inconciliable avec Rouillan, mais Rouillan va lui offrir en prime l'action et ses mystères (...). Un couple est né. Le 18 mars 1980, elle et lui mitraillent, en plein jour et comme à la parade, le ministère de la Coopération ». Pour Le Figaro, il est même question du « couple fou du terrorisme français », une figure qui s'avère récurrente.
Autre exemple, celui de Joëlle Crépet, arrêtée en mai 1986 et condamnée à dix huit ans et six ans d'emprisonnement en juin 1989 et juillet 1995 pour sa participation de premier plan à la branche lyonnaise d'Action directe (attentats, attaques à main armée notamment) : « Compagne d'Olivier, Crépet n'est pas pour autant son égérie. C'est seulement fin 1979 que cette infirmière sans histoires, issue d'une famille ouvrière des environs de Montbrison (Loire), fait la connaissance d'Olivier. Davantage séduite par la personnalité de celui-ci que par sa doctrine, elle ne le quittera plus ». Elle est ainsi, comme la plupart des femmes impliquées dans les activités d'Action directe, présentée sous les traits d'une femme à la merci de ses propres sentiments, victime d'un « aveugle engagement, moins idéologique que passionnel ».
Cependant, cette figure de l'amoureuse n'est pas forcément éloignée de la réalité. Elle fait, par exemple, partie de la stratégie de défense de Frédérique Germain et Paula Jacques. Ainsi, lors de l'important procès de janvier 1988 dans lequel 24 personnes comparaissent, la première audience consacrée aux plaidoiries est « dominée par les évocations de deux femmes, deux amoureuses du même homme, Claude Halfen : Paula Jacques et Frédérique Germain. Quelques mois après Paula Jacques, Frédérique Germain a connu aussi les angoisses de l'amour ». Le parcours et l'engagement de ces deux femmes diffèrent cependant.
Frédérique Germain, « égarée par amour », arrêtée en juin 1984, est considérée comme une repentie. Sa collaboration avec les enquêteurs lui permettra ainsi d'être dispensée de peine à l'issue du procès d'Action directe en janvier 1988 et condamnée à cinq années avec sursis le 27 février 1988 pour sa participation à l'attaque d'une bijouterie en 1983. Frédérique Germain raconte ainsi « l'histoire étonnante - mais sonnant juste - d'une étudiante flirtant avec le terrorisme pour être tombée amoureuse, au cours du printemps 1982, de Claude Halfen » et il est rappelé avec insistance « le grand amour d'une repentie » :
« elle a longuement raconté - parfois pressée de questions - l'histoire d'une jeune fille docteur en droit, conseil juridique chez Esso, sombrant dans le crime par amour pour Claude Halfen, membre d'Action directe. Ce méchant chromo ferait sourire si Frédérique Germain ne le défendait aussi vaillamment, plus portée à reconnaître sa "naïveté" que ses fautes».
L'Humanité reprend le même discours :
« demoiselle très BCBG de la rue Victor-Hugo, dans le 16e arrondissement, c'est sa nature "sensitive" (elle fut la maîtresse de Claude Halfen), qui l'a conduite dans cette aventure ». Pour Libération, ce procès est surtout la démonstration de « l'amour déçu de Blond-blond la "repentie" ».
Le cas de Paula Jacques a davantage surpris. La journaliste est en effet poursuivie en correctionnelle pour ce que Le Monde qualifie « complaisance et inconscience des "malgré-nous"16 ». Elle écope finalement de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis. La presse semble adhérer à la version de l'amoureuse et la relaie, tant le décalage avec les autres prévenus est grand :
« Du couple formé par Claude Halfen et sa cliente Paula Jacques, Me Henri Leclerc a tenté de démontrer qu'il s'apparentait "au mythe d'Ulysse et Pénélope" plutôt qu'au "syndrome de Bonnie and Clyde" : "Cet homme qui part et ne dit rien à sa femme, elle qui s'inquiète : c'est vieux comme le monde. Leur amour était fait de ce qu'elle ne savait rien. Elle était le repos du guerrier." Et de lancer au tribunal, pour justifier sa demande de relaxe : "Vous ne pouvez pas condamner une femme simplement parce qu'elle a aimé !" »
Cette idée d'une exploitation de la faiblesse des femmes est récurrente, que ce soit sous couvert de sentiment amoureux ou de naïveté. La dimension politique de l'engagement se trouve ainsi éclipsée, évacuée. Le recours à la figure de l'amoureuse semble s'imposer à certains comme incontournable, de la même manière que l'on recourt aux stéréotypes masculins et féminins, au mépris de la position des intéressées. Elle rappelle la supposée faiblesse des femmes, en proie aux tourments de leur sexe. Cette figure est finalement rassurante, puisque représentation classiquement féminine dans le cadre d'une déviance pensée traditionnellement comme masculine.


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